2024-10-04_Un chercheur de l’IPREM signe une étude sur la biodiversité publiée dans Science

Un chercheur de l’IPREM signe une étude sur la biodiversité publiée dans ScienceL’activité humaine a des conséquences plus importantes que prévu

François Rigal
Les conséquences des changements globaux sur la perte de biodiversité sont plus importantes que prévu, selon une étude publiée dans la célèbre revue internationale Science d’octobre 2024 et à laquelle a participé François Rigal, maître de conférences à l’Institut des Sciences Analytiques et de Physico-Chimie pour l’Environnement et les Matériaux (IPREM), unité mixte de recherche de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et du CNRS.

Au cours des dernières 130 000 années, les activités humaines ont entrainé, directement ou indirectement, la disparition de centaines d’espèces d’oiseaux. Cette perte de biodiversité s’est traduite par une diminution importante de la diversité des rôles écologiques joués par les espèces et a entraîné la perte d’environ 3 milliards d’années d’histoire et de potentiel évolutifs.

Cette étude révèle ainsi l’ampleur insoupçonnée de la crise actuelle de la biodiversité et souligne la nécessité d’une prise en compte des fonctions écologiques des espèces éteintes ou menacées dans l’évaluation des conséquences des changements globaux sur la perte de biodiversité et l’altération du fonctionnement des écosystèmes.

A l’instar du dodo qui s’est éteint à l’île Maurice vers la fin du 17e siècle ou du moho de Kaua’i, une espèce d’Hawaii qui n’a plus été observée depuis 1987 et a été déclarée éteinte en 2023, ce ne sont pas moins d’environ 600 espèces d’oiseaux qui ont disparu du fait des activités humaines depuis le Pléistocène supérieur (-130 000 ans), période au cours de laquelle notre espèce a commencé à se répandre dans le monde entier.

Reconstitution de l’’île de Kaua’i dans l’archipel d’Hawaii avant l’arrivée des êtres humains. Les trois espèces représentées ont disparu depuis, du fait des activités humaines (la chouette à longues pattes de Kaua’i, le psittirostre de Kaua’i, le moho de Kauaʻi). © Julian P. Hume

Un réseau complexe d’interactions biologiques

Un collectif de chercheurs composé d’ornithologues, d’écologues, de biologistes de l’évolution et de paléontologues, emmené par Tom Matthews (Université de Birmingham), et comprenant entre autres des chercheurs du CNRS et des Universités de Pau et des Pays de l’Adour (laboratoire IPREM) et de Toulouse (Centre de Recherche sur la Biodiversité et l’Environnement) a réalisé le bilan le plus complet à ce jour sur les extinctions d’oiseaux depuis 130 000 ans.

A l’aide d’un ensemble de nouvelles données sur les traits morphologiques et écologiques et l’évolution de toutes les espèces d’oiseaux actuelles et éteintes, les chercheurs ont pu montrer que les conséquences des extinctions engendrées par les changements globaux d’origine anthropique ne peuvent pas se quantifier simplement par le nombre d’espèces perdues car d’autres dimensions de la biodiversité sont également affectées, notamment celles liées au rôle écologiques des espèces (estimé par la diversité fonctionnelle) et au patrimoine évolutif (estimé par la diversité phylogénétique).

Comme le résume Tom Matthews, premier auteur de la publication, « le nombre d’espèces qui disparaissent est bien sûr un élément important de la crise de la biodiversité actuelle, mais nous devons également prendre en compte le fait que les espèces s’intègrent dans des réseaux complexes d’interactions biologiques qui sont le moteur du fonctionnement des écosystèmes.

Ainsi, certains oiseaux sont des agents de “lutte biologique” dans les écosystèmes à travers l’impact qu’ils ont sur les populations d’insectes dont ils se nourrissent. D’autres participent au grand recyclage de la matière en se nourrissant de charognes, tandis que certains, en consommant les fruits des plantes sauvages, dispersent les graines dans leurs fientes agissant ainsi comme de véritables “jardiniers” de la forêt. Enfin, certaines espèces, comme les colibris, sont des pollinisateurs-clés pour de nombreuses espèces de plantes. Ainsi, lorsque des espèces disparaissent, elles emportent avec elles cette part de leur activité qui contribue au fonctionnement des écosystèmes. »

« Outre une contribution à la diversité fonctionnelle, chaque espèce est également porteuse d’un héritage évolutif qui lui est propre. Par conséquent, lorsqu’une espèce disparaît, c’est un peu comme si l’on coupait une branche de l’arbre phylogénétique (ou évolutif) du vivant, et cet “élagage” se traduit par la perte d’une certaine diversité phylogénétique qui s’exprime en millions d’années d’évolution. »

Des répercussions considérables sur la dynamique et le fonctionnement de nombreux écosystèmes

Un des résultats de l’étude montre ainsi que l’ampleur des extinctions d’oiseaux induites par les activités humaines est telle qu’elle correspond à une perte d’environ 3 milliards d’années d’histoire évolutive unique. Celle-ci s’accompagne d’une réduction de la diversité fonctionnelle bien supérieure à ce qu’on attendrait si les espèces éteintes représentaient un échantillon aléatoire de la diversité des oiseaux.

Ainsi les extinctions, au-delà de la simple perte d’espèces, peuvent entrainer une réduction de la pollinisation des fleurs et de la dispersion des graines à l’échelle d’écosystèmes tout entiers, une diminution de la régulation des populations d’insectes herbivores ou vecteurs de parasites par les oiseaux insectivores, voire l’augmentation du risque infectieux quand les oiseaux charognards disparaissent et cessent de jouer leur rôle dans la dilution de la transmission des pathogènes.

Au final, la contraction de l’avifaune mondiale du fait des extinctions anthropiques affecte les capacités de résilience de nombreux écosystèmes, ne serait-ce que parce qu’une fraction importante des espèces de plantes a perdu ses disperseurs principaux, et cela est particulièrement manifeste dans les écosystèmes forestiers insulaires.

Les résultats de cette recherche soulignent la nécessité d’une prise en compte de l’impact des extinctions d’origine anthropique dans toutes ses dimensions de la biodiversité et pas seulement au travers du nombre d’espèces disparues. A l’échelle globale, les auteurs estiment que mille espèces d’oiseaux devraient s’éteindre au cours des deux prochains siècles. Au-delà de la perte tragique d’espèces, et du patrimoine et potentiel évolutifs qu’elles représentent, ces extinctions se traduiront par une altération de la dynamique et du fonctionnement des écosystèmes, en particulier ceux où les oiseaux jouent de nombreux rôles écologiques.

Les chercheurs concluent que les stratégies de conservation à l’échelle mondiale, notamment celles qui s’appuient sur la restauration des écosystèmes ou le “rewilding”, devront intégrer les pertes de fonctions écologiques associées aux extinctions à venir pour être efficaces sur le long terme.

 

* The global loss of avian functional and phylogenetic diversity from anthropogenic extinctions (« La perte globale de la diversité fonctionnelle et phylogénétique des oiseaux due aux extinctions anthropogéniques »), Science, 4 octobre 2024.

Auteurs : Thomas J. Matthews, Kostas A. Triantis, Joseph P. Wayman, Thomas E. Martin, Julian P. Hume, Pedro Cardoso, Søren Faurby, Chase D. Mendenhall, Paul Dufour, François Rigal, Rob Cooke, Robert J. Whittaker, Alex L. Pigot, Christophe Thébaud, Maria Wagner Jørgensen, Eva Benavides, Filipa C. Soares, Werner Ulrich, Yasuhiro Kubota, Jon P. Sadler, Joseph A. Tobias, Ferran Sayol.