Zoyne Pedrero Zayas lauréate d’une bourse de recherche prestigieuse Mieux comprendre la dynamique du mercure chez les êtres vivants
Le Conseil européen de la recherche a annoncé la liste des lauréats et lauréates des bourses ERC Consolidator Grant, une distinction prestigieuse qui soutient chaque année une sélection très restreinte de projets de recherche d’excellence portés par des scientifiques en milieu de carrière. Zoyne Pedrero Zayas, directrice de recherche CNRS au sein de l’IPREM* à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, fait partie des lauréats avec le projet SéMer.
Une révolution se prépare dans les murs de l’IPREM, et elle est menée par Zoyne Pedrero Zayas. La chimiste cubaine a récemment obtenu un financement prestigieux du Conseil européen de la recherche (ERC) pour révolutionner la compréhension du devenir du mercure dans le vivant, grâce à son projet SéMer. Présent dans notre environnement, le mercure s’insinue jusqu’à nos assiettes à travers la chaîne alimentaire, principalement via la consommation de poissons et de fruits de mer. Tout le monde est exposé, directement ou indirectement, à cet élément chimique qui, en raison de son extrême toxicité, a récemment été classé parmi les dix produits chimiques les plus préoccupants pour la santé publique par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Les informations actuelles sur le devenir du mercure dans les organismes vivants sont limitées, explique Zoyne Pedrero Zayas. Ce que nous souhaitons désormais, c'est obtenir une compréhension plus fine et précise de la dynamique de transformation, d'excrétion et d'interaction du mercure dans le vivant, ouvrant des voies jamais explorées auparavant dans l’étude de son cycle biogéochimique. » Le projet SéMer fournira des perspectives sans précédent sur la dynamique du mercure dans l'environnement, grâce au développement de nouvelles stratégies analytiques qui pourraient être appliquées à d'autres éléments, toxiques ou essentiels pour les organismes vivants.
La chercheuse du CNRS a d’ailleurs un autre élément en ligne de mire : le sélénium. Ce dernier pourrait jouer un rôle dans la détoxification du mercure entre autres, par la formation de tiemannite. Ce composé solide et inerte de mercure et sélénium réduirait la biodisponibilité du mercure dans l’organisme et, par conséquent, sa toxicité. Cette voie de détoxification reste encore à explorer, et c’est précisément l’un des objectifs du projet de Zoyne Pedrero Zayas.
La chercheuse développera des stratégies analytiques pour caractériser la composition isotopique du mercure et du sélénium qui est spécifique à chaque molécule contenant ces éléments. Ces approches seront appliquées en parallèle dans des écosystèmes différents mais tous les deux importants pour l’étude du mercure dans l’environnement : le milieu marin, où certaines hypothèses ont été évoquées, et les milieux d’eau douce, beaucoup moins étudiés et présentant un manque important de données.
L’Amazonie, un laboratoire grandeur nature
La majorité des études concernant le mercure dans les organismes vivants se limitent aux organismes marins. Le projet de Zoyne Pedrero Zayas apportera de nouvelles informations dans les écosystèmes d’eau douce, comme l’Amazonie, où il existe un manque critique de données sur la dynamique du mercure et du sélénium et leur interaction potentielle.
L’Amazonie est l’une des régions du monde les plus impactées par le mercure. En plus de l’activité historique d’orpaillage dans la région, de récents épisodes de déforestation, d’incendies de forêt, de construction de méga-barrages et de transformations de l’utilisation des terres contribuent à modifier la dynamique du mercure, entraînant une bioaccumulation accrue chez les animaux et les populations locales. « La population riveraine a une alimentation principalement basée sur des produits locaux, et le poisson représente 80 % de leurs apports en protéines, raconte Zoyne Pedrero Zayas. Cette forte consommation de poisson conduit à des niveaux de mercure dans le sang parmi les plus élevés au monde. »
Avec son projet, la chercheuse va caractériser la dynamique du mercure, mais aussi du sélénium naturellement présent dans cette région. Elle mènera son étude chez une grande variété d’espèces de poissons ayant différents régimes alimentaires, ce qui apportera des informations nouvelles sur le devenir de ces éléments à différents niveaux trophiques c’est-à-dire de la chaîne alimentaire.
Le suivi du devenir du mercure et du sélénium, rendu possible grâce au traçage de leur empreinte isotopique, sera également réalisé dans différents organes d’animaux correspondant à plusieurs niveaux trophiques, incluant les poissons et les oiseaux marins, ainsi que dans le sang, l’urine et les cheveux des populations humaines présentant un intérêt. « Actuellement, nous disposons déjà d’échantillons collectés auprès de 2 000 individus lors de récentes campagnes menées dans le cadre d’autres projets, ce qui nous fournit des informations préliminaires qui serviront de point de départ pour ce nouveau projet, » ajoute la chimiste.
Avec son projet SéMer, Zoyne Pedrero Zayas contribuera à repousser les frontières de la connaissance sur le devenir du mercure dans les organismes vivants et sa détoxification par le sélénium. « Parmi les retombées attendues, nous fournirons des recommandations alimentaires plus précises pour réduire le risque de toxicité du mercure lié à l'alimentation, conclut-elle. » La recherche fondamentale menée dans cette population modèle aidera à comprendre de manière globale la dynamique et le devenir du mercure chez les humains.
Un engagement envers les sciences de l’environnement
Originaire de Cuba, Zoyne Pedrero Zayas a suivi un parcours académique international. Après des études en chimie à l’Université de La Havane, elle poursuit un master à Rio de Janeiro (PUC-RJ), au Brésil, avant de décrocher un doctorat en chimie analytique à l’Université Complutense de Madrid, en Espagne, au sein du groupe des pofesseures Yolanda Madrid et Carmen Cámara.
Durant son doctorat, elle s’est focalisée sur le transport et la biotransformation des espèces de sélénium dans les plantes et les aliments fonctionnels. En 2009, elle rejoint l’IPREM pour un post-doctorat, attirée par la vaste expérience de l’institut sur les problématiques environnementales liées au mercure. Sa carrière progresse rapidement : elle est recrutée comme chargée de recherche en 2012 au CNRS, et promue directrice de recherche en 2023. Elle coordonne actuellement plusieurs projets de recherche interdisciplinaires, nationaux et internationaux : ANR, H2020, Horizon Europe.
Très attachée à l’impact sociétal de ses travaux, Zoyne Pedrero Zayas met ses recherches au service des populations vulnérables, notamment en Amazonie, où l’exposition au mercure constitue un problème de santé publique majeur. « Plus je connais la problématique de la population amazonienne, plus j’ai envie de travailler sur ce sujet et d’apporter des solutions, à mon niveau, depuis le laboratoire », confie-t-elle.
* L’Institut des Sciences Analytiques et de Physico-Chimie pour l’Environnement et les Matériaux est une unité mixte de recherche (UMR) CNRS / Université de Pau et des Pays de l’Adour